À propos d'Alphy

Qui est Alphonse Allais ?


Bien malin qui pourrait répondre à cette question de manière définitive.

Lorsqu'il parle de lui, Allais préfère mille fois promener le lecteur, comme dans son conte : « Marchand de casquettes par amour », Le Sourire, le 1er octobre 1904 :

« Comment ne m'évanouis-je pas, alors que ses mains, ses mains divines, ses mains meetings des plus affriolantes fossettes du monde, ses mains frôlèrent mes cheveux (que je portais fort longs à cette époque et si fournis que Thérèse Humbert prétendait sans cesse que c'était une botte de foin que j'avais sur la tête) ! »

Il est difficile d'en savoir davantage tant il se confie difficilement. « Impossible de vous dire mon âge, il change tout le temps. », concède-t-il en forme de boutade. Plutôt que de parler de lui, Alphonse Allais préfère portraiturer les heures qui passent, ainsi dans ce quatrain publié dans Le Sourire du 30 décembre 1899 :


PORTRAIT PEU FLATTÉ DU TEMPS
Long comme un jour sans pain, sans huile et sans vinaigre,
Appuyé sur sa faux, vous l'avez reconnu.
Il ne doit pas peser bien lourd, quand il est nu.
Le temps est un grand maigre.


S'il lui faut absolument se mettre à nu, Allais se lance dans une autobiographie fantaisiste, ce qui le soustrait à une impudique description :

« Alphonse Allais, poète français qui jeta, sur la littérature de son pays, un vif éclat, à la fin du XIXe siècle et dans la plus grande partie du XXe. Cet auteur exécutait de véritables tours de force prosodiques, comme en se jouant, et toujours le Sourire sur les lèvres (La Postérité). »

La courte biographie qui précède, publiée dans Le Sourire, le 17 février 1900, soit moins de six ans avant sa mort, nous apparaît moins joyeuse que l'autoportrait facétieux qu'il livrait le 6 janvier 1883 dans les colonnes du Chat Noir :

« Alphonse ALLAIS, masculin méridional, né à Pézenas ; pharmacien agriculteur, inspecteur de biberons aux Invalides, chevalier de plusieurs ordres distingués ; ex-dentiste de trois têtes couronnées, Alphonse Allais, le blond éphèbe, chassé par l'infâme réaction d'une pharmacie paisible, sise rue Mazarine, à l'enseigne de la gerbe d'or, a été réduit à s'établir fumiste en chambre à Honfleur ; pour augmenter ses ressources pécuniaires (car le commerce ne va pas), il a dû accepter d'être notre inspecteur météorologique sur les côtes orageuses de l'Océan ; voici son bulletin qui paraîtra hebdomadairement :

Paris-Honfleur, n° 757 ; mots 25. Dépôt le 3, 4 h 20.
Vent Nord-Ouest va mollir et revenir vers Sud-Ouest ; pression, 737. Prière d'afficher. »

Pour le reste, notre visiteur du jour ou du soir se référera utilement aux sites habituels, type Wikipedia, pour apprendre que le bon maître, né à Honfleur le 20 octobre 1854, est décédé le 28 octobre 1905, dans une modeste chambre de l'hôtel Britannia, rue d'Amsterdam, à Paris.

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L'écriture si particulière d'Alphonse Allais


« Depuis ma plus tendre enfance (ma mère vous le dira), j'ai toujours remis au surlendemain ce que j'aurais parfaitement pu faire l'avant-veille. »
Cette phrase est une clef indispensable à qui veut saisir l'homme et l'écrivain. Allais ne corrige pas un brouillon jusqu'au bout de la nuit. Ses manuscrits ne comportent que peu de
ratures. Un style cursif. Quelques digressions destinées à enrichir la plaisanterie. C'est tout.
Ce qui ne signifie pas que tous ses récits soient de qualité égale : « […] il n'est pas facile d'avoir de l'esprit plusieurs jours par semaine et sur commande, même si on s'appelle Alphonse Allais. », constate le jeune Sacha Guitry.

« Procrastination », disent les lettrés pour décrire la faculté d'Allais à remettre à plus tard. S'il est exagéré de dire qu'Allais n'a jamais œuvré chez lui, il est cependant vrai qu'il écrivait de préférence au café. Il s'attable généralement à la dernière minute à une terrasse sans même savoir la plupart du temps ce qu'il va écrire, demande de l'encre et du papier au garçon et se met à rédiger. Sitôt son article terminé, il le glisse dans une enveloppe, sans la moindre relecture, et, contre une petite pièce, confie à un jeune garçon le soin de jeter le tout dans la boîte postale had oc. La chronique est donc rédigée sur un papier à en-tête de la brasserie, tel ce véritable recto de la première page de sa chronique « Honneur à Mougeot » (Ne nous frappons pas).

C'est à la paresse qu'il faut attribuer les fautes de syntaxe et surtout d'orthographe qui émaillent son courrier personnel. Il griffonne rapidement, sans dater ses lettres ni sans vraiment les relire. Sa correspondance retrouvée le prouve.
C'est aussi cette paresse qui développe son génie en l'obligeant à une créativité désopilante pour tirer à la ligne. Ainsi, il consacre plusieurs lignes à un détail qui pourrait se suffire en quelques mots :
« Ce titre seul, à la rigueur, me dispenserait d'en dire plus long, si mon contrat avec mon éditeur ne stipulait point, de ma part, un nombre minimum de lignes, et si, d'ailleurs et surtout, ma conscience exigeuse ne m'incitait à pousser davantage une aussi pâle ébauche. »

Gain de lignes toujours par ce procédé extrait de son conte « Le veau au carottes » (Amours, Délices et Orgues) :
« Tous les dimanches, ce neveu, que nous appellerons désormais, pour la clarté du récit et pour éviter toute perte de temps, Fernand, tous les dimanches, dis-je, le neveu allait avec sa jeune femme dîner chez ses vieilles tantes.
Ma chère Lucie, disait le neveu… car pour les mêmes raisons que nous avons baptisé le neveu Fernand, bien que ce ne soit pas son véritable nom, nous appellerons désormais la jeune dame Lucie. »

Et gain encore par cette présentation très complète figurant dans la chronique « Indélicate façon de faire la connaissance d'un monsieur » (Le Bec en l'air) :

Juste à ce moment, un jeune gentleman se présenta.
Et quand je dis un gentleman, ce n'est pas par ridicule manie d'exotisme, mais bien parce que le nouveau venu était un Anglais.
S'il avait été un Espagnol, j'aurais dit un caballero.
S'il avait été un Italien, j'aurais dit un signor.
Et ainsi de suite.
Mais c'est un Anglais, alors je dis un gentleman.
Et comme il n'a pas beaucoup plus de vingt ans, je dis un jeune gentleman.
Je pourrais même dire a young gentleman, mais je ne suis pas payé pour écrire en anglais.

Le comble du procédé se trouve à l'évidence dans le conte « Miousic » (Vive la Vie !). Allais décrit sa surprise à la vue d'une femme perdue de vue depuis des années :

Mon sang ne fit pas cent tours.
Mon sang ne fit pas cinquante tours.
Mon sang ne fit pas vingt tours.
(J’abrège pour ne pas fatiguer le lecteur.)
Mon sang ne fit pas dix tours.
Mon sang ne fit pas cinq tours.
Non, mesdames ; non, messieurs, mon sang ne fit pas seulement deux tours.
Vous me croirez si vous voulez : mon sang…
Mon sang ne fit qu’un tour !

Et si tout cela ne suffit pas pour convaincre le lecteur, Allais joue les dilettantes. Au début de sa chronique 
« Littoralement »
(Le Chat Noir, 1er septembre 1888), il annonce trois sujets, s'étend abondamment sur le premier et, parvenu au bas de la page, termine de la sorte :

Je vous demande bien pardon, mais on m'appelle pour déjeuner.
Me voilà forcé de remettre à la prochaine fois l'histoire du décoré et celle de l'original de Gadouville.
Bon appétit.

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Allais plagiaire ?


Rassurons notre visiteur du jour ou du soir, Allais n’est pas connu pour avoir plagié les autres. Toutefois, lorsque l’inspiration se faisait plus discrète, il n’hésitait pas à se copier lui-même en donnant un air nouveau à une vieille histoire. « Même, un jour, il reproduisit froidement une nouvelle de mon père, emprunt qu’il lui confessa comme la chose la plus innocente du monde. » rapporte Jean-Jacques Bernard.

Que l’humoriste pille sciemment un confrère, ami intime de surcroit, cela reste à prouver. Le fils aîné de Tristan n’apporte pas de preuve à son assertion. Mais qu’Allais rajeunisse l’un de ses vieux textes, voilà qui est avéré. A titre d’exemple, notre visiteur confrontera ces deux textes imprimés à six années d’écart, et appréciera les modifications entre « Le terrible drame de Rueil » (LTDDR) figurant dans le recueil Rose et Vert-Pomme en 1894 et « Premiers froids » (PF) publié dans Le Chat Noir du 6 octobre 1898 :
On n’était plus qu’à un hectomètre environ de la gare de Rueil (la gare de toute la banlieue où les employés ont reçu la plus déplorable éducation. Oh ! les meufs !) Déjà notre railway ralentissait sa marche. (Encore un alexandrin.) (LTDDR)
On n’était plus qu’à quelques centaines de mètres de la gare. Déjà notre train ralentissait sa marche. (PF)

Tout à coup, un cri d’effroi retentit, poussé par une dame qui se trouvait à la portière de droite. (LTDDR)
Tout à coup, un cri d’effroi retentit, poussé par une dame qui se trouvait à la portière de droite. (PF)

– Quoi ? Qu’y a-t-il ? fîmes-nous, angoissés.
– Là ! faisait la dame. Là ! Horreur des horreurs ! (LTDDR)


– Quoi, qu’y a-t-il ? nous écriâmes-nous tous.
– Là, là, faisait la dame. Horreur ! (PF)


Dans un petit jardin contigu à la voie, un homme jeune encore était pendu à un arbre fruitier. (LTDDR)
Dans un petit jardin, contigu à la voie, un homme jeune encore et convenablement vêtu était pendu à un pommier. (PF)

Jonchant le sol, tout près, une dame en costume d’amazone, un revolver au poing, venait de se tuer, probablement pour ne pas survivre au monsieur pendu. (LTDDR)
Jonchant le sol, tout près, une dame en costume d’amazone, un revolver au poing, venait de se tuer, probablement pour ne pas survivre au monsieur pendu. Quel drame ! (PF)

Enfin le train s’arrêta. (LTDDR)
Le train venait de s’arrêter. (PF)

Fébrilement, je sautai à terre et m’encourus vers la maison sinistre, une coquette demeure en briques que j’avais bien remarquée. Je tirai un coup de sonnette où je mis toute mon énergie.
Une petite bonne vint m’ouvrir : une petite bonne rousse dont le nez retroussé indiquait une rare effronterie. (LTDDR)

Je sautai fébrilement à terre, et pris le chemin de la maison sinistre, une coquette petite maison en briques que j’avais bien remarquée. Je sonnai un peu fort.
Une petite bonne vint m’ouvrir, une petite bonne rousse dont le nez retroussé indiquait une rare effronterie. (PF)


Mademoiselle, haletai-je, il vient de se passer, dans votre jardin, des choses effroyables.
– Quoi donc ?
– Un monsieur est pendu à un arbre.
– Oui, je sais. (LTDDR)

– Mademoiselle, fis-je, il vient de se passer une chose horrible dans votre jardin.
– Quoi donc ?
– Un homme s’est pendu.
– Oui, je sais. (PF)


– Une dame vient de se tirer un coup de revolver dans la tempe.
– Oui, je sais.
– Une femme nue a le ventre ouvert.
– Oui, je sais.
Tant de calme chez cette jeune créature rousse m’affolait.
– Mais, mademoiselle, repris-je, il faut y aller… tout de suite !
– Ça n’est pas pressé… On les rentrera ce soir… parce qu’il pourrait pleuvoir dans la nuit. (LTDDR)

Et une dame s’est tiré un coup de revolver.
– Eh bien ?
– Il faut y aller tout de suite.
– Ce n’est pas pressé. On les rentrera ce soir, parce qu’il pourrait pleuvoir cette nuit.
Tant de calme chez cette créature m’épouvantait. (PF)


J’eus le temps d’étreindre encore mon crâne toujours prêt à voler en éclats, et puis, j’eus la clef du mystère.
Le propriétaire de la maison est un ancien forain qui gagna des sommes considérables à montrer les crimes célèbres figurés en cire. (LTDDR)

J’eus bientôt la clef du mystère.
Le propriétaire de la maison est un ancien forain qui gagna une somme considérable à montrer les crimes célèbres en cire. (PF)


En se retirant des affaires, il n’eut point le courage de se séparer de ses sujets.
Seulement, des fois, pour éviter la moisissure, il les met à l’air. (LTDDR)

En se retirant, il ne put se résoudre à abandonner ses sujets.
Seulement, quelquefois, pour éviter la moisissure, il les met à l’air. (PF)


La mémoire seule suffit-elle pour coller d’aussi près au premier texte, ou bien Alphonse Allais se copie-t-il, à six ans d’écart, l’œil rivé sur l’original ?

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Ses oeuvres

Liste des ouvrages d'Alphonse Allais


Titres - Editeurs - Années de parution


La nuit blanche d'un hussard rouge, monologue, Paul Ollendorff, éditeur, 1887
A se tordre, Paul Ollendorff, éditeur, 1891
Vive la vie !, Librairie Marpon et Flammarion, 1892
Pas de bile !, Librairie Marpon et Flammarion, 1893
Le parapluie de l'escouade, Paul Ollendorff, éditeur, 1893
Rose et Vert-Pomme, Paul Ollendorff, éditeur, 1894
Deux et deux font cinq, Paul Ollendorff, éditeur, 1895
On n'est pas des Bœufs, Paul Ollendorff, éditeur, 1896
Le Bec en l'air, Paul Ollendorff, éditeur, 1897
L'album primo-avrilesque, Paul Ollendorff, éditeur, 1897
Amours, Délices et Orgues, Paul Ollendorff, éditeur, 1898
Silvérie ou Les Fonds Hollandais (en collaboration avec Tristan Bernard), Ernest Flammarion, éditeur, 1898
Pour cause de fin de bail, Editions de la revue blanche, 1899
Le Pauvre Bougre et le Bon Génie, Ernest Flammarion, éditeur, 1899
L'affaire Blaireau, roman, Editions de la revue blanche, 1899
Ne nous frappons pas, Editions de la revue blanche, 1900
Le Captain Cap, Félix Juven, éditeur, 1902
Le Boomerang, ou Rien n'est mal qui finit bien, Ollendorff, 1912.

Les Œuvres d'Alphonse Allais ont été réunies dans :

Tout Allais, Œuvres anthumes et posthumes, onze volumes, La Table ronde, 1964-1970
Allais, Œuvres anthumes, Bouquins
Allais, Œuvres posthumes [extraits], Bouquins

Ouvrages consacrés à Alphonse Allais :

Hormis de nombreuses anthologies de contes et de nouvelles – parmi lesquelles nous citerons Alphonse Allais, Les Confessions d'un enfant du cycle, de Hervé Paturle, petit ouvrage publié au Mercure de France (2012) qui contient des inédits d'Allais publiés dans le journal L'Auto-Vélo entre 1902 et 1903 –, il a été publié quelques livres plus spécifiquement consacrés à l'homme et à son œuvre, parmi lesquels il convient de citer, dans l'ordre d'apparition :

Alphonse Allais, Souvenirs d'enfance et de jeunesse, Jeanne Leroy-Allais, Flammarion, 1913
Alphonse Allais « Le tueur à gags », Anatole Jakovsky, Les Quatre Jeudis, 1955
Alphonse Allais Prince de l'humour, Robert Chouard, V&O Éditions, 1992
Alphonse Allais, François Caradec, Belfond, 1994
Le Génie du pote Allais, Jean-Yves Loriot, Pierran, 2003
Comme disait Alphonse Allais, Patrice Delbourg, Écriture, 2005
On ne badine pas avec l'humour d'Allais, Jean-Pierre Delaune, Omnibus, 2016